P.H. FAIRFAX

 

Le 17 juin 1940, au matin vers 2 h, nous quittions le camp, pour une marche de 7 milles, afin de rejoindre le port. Nous sommes arrivés sur le Lancastria à 14 h, le navire était surchargé. Je descendis dans la salle à manger où un délicieux repas nous fut servi.

J’ai entendu un officier, dire que nous étions 8000 à bord.

 

Aussitôt, il y a eu une explosion terrible ; je pris conscience que c’était sérieux, je n’ai jamais revu cet officier.  Il était 15h40, le navire commençait à vaciller ; je me précipitais sur le pont supérieur. J’entendais, les hommes en dessous gémir et crier, c’était terrible.

J’escaladais un escalier, lorsque j’aperçus un officier, muni d’un revolver, qui forçait les hommes à descendre. Cet homme ne réalisait pas, que nous coulions.

 

 

Vingt minutes plus tard, j’étais sur le pont supérieur. Les hommes couraient sur le pont, le Lancastria était déjà incliné, de nombreux hommes tombaient à l’eau. Mon regard se porta vers une embarcation que l’on mettait à l’eau. Deux hommes, discutaient pour larguer un canot. L’un disait de larguer, l’autre prévenait qu’il tirerait sur le premier homme qui embarquerait. Ensuite, arriva un premier lot de femmes et d’enfants, pour s’installer dans le canot. Le canot, descendait, avec les hommes, afin de manœuvrer le canot.

 

De mon côté, je grimpais les escaliers qui étaient maintenant au niveau de la mer. Il était impossible de monter sur le pont. Je restais seul, regardant la scène, me demandant : comment faire, car je ne savais pas nager. A ce moment là, le canot rempli de femmes et enfants, s’écrasa sur la coque et ne pouvait se libérer. Beaucoup de choses arrivèrent en même temps, je ne peux pas les raconter, sauf qu’un cousin de chez Woolworth bondit du pont et tomba dans mes bras.

 

L’eau arrivait à mes pieds, tout habillé, j’allais avec cet homme, dans cette mer qui arrivait très vite sur nous. J’agrippais, en même temps, une planche et me retrouvait parmi les naufragés. Un canot, avec environ une dizaine d’hommes me rejoignait. J’atteignais, une boucle de corde et j’y mis mon bras à l’intérieur.

 

Il y avait de nombreux cadavres qui flottaient. Le mazout devenait épais, devenant très dangereux, pour les yeux, le nez et les oreilles. Le « boche » revenait, il nous envoyait, des balles traçantes, provoquant de petites flammes sur le mazout.

 

A ce moment là, je vis deux copains et entendu l’un dire : « alors Charlie, quand tu seras prêt, je le serais ». Nous avons regardé dans cette direction pour voir un homme sortir de son cou, un revolver attaché avec une ficelle. L’un cria de tirer. Il tira deux coups sur son camarade et puis se tua.

 

Ça devenait épouvantable, nous étions épuisés, les hommes étaient à bout de force. C’est alors que nous avons vu un petit bateau à rames avec deux français. Ils s’approchaient de nous, nous avons crié dessus, mais il s’éloignait. Un autre bateau arriva, bourré. Nous vîmes un homme lever le bras pour attraper sa partie avant. D’où nous étions, il semblait que l’homme à l’avant du bateau était un officier muni d’un revolver à la main, il tenait tout le monde à distance. L’homme dans l’eau fit plusieurs tentatives pour saisir le bateau, lorsque nous vîmes le revolver pointé sur lui. Un coup de pistolet retentit et l’homme disparut. Une seconde après, l’officier se suicida avec son revolver.

 

Plus tard, un homme paniqué s’approcha de notre canot, il s’accrochait de tout son poids sur moi, je lui donnais un coup d’épaule dans les côtes afin de l’éloigner ; mais il revenait et recommençait à grimper sur le canot, au risque de le faire sombrer. Deux hommes le rejetèrent, mais il revenait, alors ils appuyèrent sa tête sous l’eau jusqu’à ce qu’il réalise qu’il était un danger. Je ne l’ai jamais revu, je ne sais, s’il a nagé ou s’il s’est noyé. Nous sommes restés 4 heures dans l’eau.

 

Un navire français, s’approcha de nous afin de nous récupérer, je demandais qu’elle heure il était, un officier me répondit, il est 21h. A bord, nous étions couverts de mazout. Nous devions être vers 23h15 à l’hôpital, l’on nous a entièrement dévêtu. Ensuite on nous a épongé avec une solution de paraffine et d’eau chaude. Nous sommes allés nous reposer pour le reste de la nuit.

 

A 2h15, je fus tiré par les pieds et on me dit de me dépêcher. Je me suis retrouvé dans un camion et nous avons pris la direction du port. Un petit bateau nous conduisait, le long du navire Robert Holt, je comptais encore 14 navires sur la zone dont 3 d’entre eux, étaient des destroyers.