Témoignage de Monsieur Michael Sheelan d’Ontario Canada

 

J’ai eu l’heureuse chance de survivre au plus grand désastre de la mer lors de la 2ème guerre mondiale ainsi que la plus grande catastrophe maritime britannique. J’étais  membre  d’équipage sur un bateau britannique qui fut bombardé et coulé avec la perte de plus de 5000 personnes. Cette mort et cette destruction sont venues par des bombardiers ennemis lors de l’évacuation de la France le 17 juin 1940.

Je ne souhaite pas élaborer actuellement, car c’est une très longue histoire ainsi j’essayerais d’être bref.  

Durant les mois de mai et juin 1940 la totalité de l’Europe et la Grande-Bretagne était dans l’agitation. En Grande-Bretagne la situation semblait sinistre, il y avait une atmosphère étrange avec un bon nombre d’excitation et d’activité lorsque Churchill annonçait à la radio que tous les citoyens britanniques et forces armées devaient être évacués de France, chaque navire et marin étaient nécessaires pour cette évacuation.

Je venais tout juste de débarquer de mon dernier bateau à Avonmouth. Après un voyage à Montréal j’arrivais à Liverpool avec l’intention de rejoindre tout le C.P’s quand un membre de la Cunard arriva pour demander à l’équipage de rejoindre le Lancastria, ce monsieur me demanda de faire partie de l’équipage et sans hésitation j’embarquais. Ca ne faisait pas dix minutes que j’étais à bord que je prenais  le quart de 12 h à 16 h, comme il était 16 h j’ai dû remplacer mon compagnon de quart à la barre. Il me semblait que tout le monde était pressé, je ressentais comme une agitation autour de moi. Avant que j’aie pu réaliser, nous étions rendus en aval du fleuve « Le Mersey » à hauteur du bateau phare, ensuite nous arrivions à Plymouth à proximité de la côte pour attendre les ordres.

Je ne réalisais pas du tout que j’étais sur le point de faire le voyage le plus court de ma carrière, voyage aller et sans retour, loin de présager la plus longue journée de ma vie.

En arrivant à Plymouth nous mouillions l’ancre, une heure après nous la virions  et recevions l’ordre de faire route sur Brest en France. Nous devions évacuer autant de personnes que nous pouvions. Nous sommes arrivés tard dans la nuit au large de Brest, réalisant que cette ville était aux mains de l’ennemi, nous avons fait un tour rapide et recevions de nouveaux ordres  consistant à faire route sur Saint-Nazaire. Tout en longeant la côte, nous faisions route avec deux autres navires l’Oronsay et le Franconia. A 4h mon quart étant terminé j’admirais le levé du soleil, dès lors est arrivé du ciel,  coté Est, des avions ennemis laissant tomber leurs bombes entre les trois navires, ils se cantonnaient sur l’Oronsay mais n’ont pas réussi à l’atteindre, les bombes pleuvaient partout, certaines sont tombées à proximité de nous mais sans faire de dégâts, le Franconia fut touché et pris la décision suite à ses avaries de retourner en Angleterre.

Nous avons continué notre route sur Saint-Nazaire et sommes arrivés sur zone en fin de nuit pour mouiller notre ancre. Aux alentours de 7 h nous avons commencé à embarquer autant de personne que nous pouvions mettre à bord. Nos passagers étaient des enfants, des femmes, des soldats,  l’armée de l’air et y compris nos alliés. Aucun membre d’équipage n’était au repos, tout le monde devait aider à organiser cet embarquement et guider les troupes dans le navire. Les avions ennemis rodaient toujours dans les parages lançant quelques attaques. Autour de 15h, j’étais de quart dans l’équipe de sécurité qui se trouvait sur le pont, le capitaine Sharp me demanda d’aller avec mon compagnon vérifier le nombre de personnes embarquées, l’évaluation était de plus de 7000 ne comprenant pas l’équipage qui totalisait 450 personnes.

A ce moment là le capitaine Sharp était à la passerelle. Le second capitaine M Grattidge, M Roberts et moi-même étions à la barre pensant que nous étions prêts à virer notre ancre. Cependant le capitaine attendait une escorte, car non seulement nous étions soumis à des attaques de jour mais nous savions qu’il y avait des sous-marins allemands dans le golf de Gascogne donc dans le secteur.

A 3h30, le second capitaine, pensant qu’il faudrait un certain temps avant d’avoir une escorte, s’approche de moi et me demande d’appelé la relève pour le quart suivant, la vie du bord continuait,  c’était la routine. Je étais  dans les quartiers de l’équipage quand la première bombe heurta le panneau de cale n°2, cette cale où se trouvait environ 1000 hommes de l’armée de l’air, tous ces gens étaient postés dans cette cale, je doute qu’il y ait eu des survivants.

L’explosion m’a éjecté vers le haut, je me suis retrouvé dans la coursive, atterrissant sur une courte distance vers l’avant du navire à proximité de la descente. Celle ci était bloquée par un des marins du Lancastria qui était blessé. Je l’ai aidé à rejoindre le pont avant car personne  s’approchait de lui.

Je suis revenu à la passerelle où le capitaine donnait l’ordre au bosco de libérer les canots de sauvetages et les sortir. L’équipe de tribord était déjà à libérer les canots quand une nouvelle attaque frappait la machine tuant un officier et le bosco. Un avion ennemi laissa tomber trois bombes dont une juste au-dessus du mât antérieur, l’une d’elles semblait être tombée dans la cheminée, l’autre vers la moitié du navire et la troisième à l’extrémité du pont, ce sont ces bombes qui sans aucun doute sont tombées dans les cuves à carburant libérant du mazout et de l’huile.

Le lancastria pris de la gîte sur tribord, il nous était presque impossible de rester debout sur le pont, cela devenait  très difficile pour l’équipage de larguer les canots de survie. Certains canots restaient bloqués sur leur bossoir ou ils tombaient dans la mer. Le paquebot descendait très vite (il a coulé en 20 mn). Ensuite le Lancastria s’est retourné sur bâbord, le capitaine ordonna d’abandonner le navire, le second capitaine et moi-même étions toujours à nous tenir le long de la passerelle, il se tourna vers moi et me dit : « Nous devons y aller !!! »

J’avais l’intention avant de sauter d’aller aider à larguer les derniers canots de sauvetage, mais c’était une situation désespérée. J’ai alors sorti mon couteau et coupé mes vêtements et bottes et j’ai sauté par-dessus bord. 

J’avais repéré un panneau d’une trappe du Lancastria, il flottait à une certaine distance, je parvins à le saisir. Deux soldats avaient eu la même idée que moi et nous nous sommes accrochés ensemble. Nous luttions pour  nous écarter du bateau car l’aspiration était très forte, le Lancastria coulait très vite, l’huile ou le mazout était partout, il en sortait encore des cuves, nous ne pouvions pas en échapper.

Pendant tout ce temps les « bâtards » allemands étaient toujours à laisser tomber des bombes incendiaires en souhaitant mettre le feu à l’huile, beaucoup de personnes sont mortes lorsque ces avions revenaient mitraillant tout ce qui flottait. Notre seule défense était celle des destroyers qui faisaient feu sur ces avions sans résultat jusqu'à ce que nos avions de combat arrivent sur la zone.

Malheureusement mes deux compagnons, soldats sur le panneau de trappe, ont été frappés lors de ces attaques, leurs corps dérivaient sur l’eau. Pendant ce temps je commençais à avoir froid et surtout j’étais épuisé. La lutte devenait acharnée, j’avais du mal à tenir sur ce panneau de  trappe et je me mis à prier. Je crois que le bon seigneur a répondu à mes prières, je perdais confiance malgré que j’aperçoive des bateaux faire des navettes pour récupérer des survivants.

Je vis passer le long de moi le HMS Higlander, qui avait réalisé un travail énorme en tirant sur les avions ennemis et en sauvant des naufragés. Il m’avait repéré et avant que je ne réalise je me suis retrouvé à bord, il était très difficile d’exprimer  mon soulagement, un membre de l’équipage m’a enveloppé dans une couverture de la Navy, me frotta et me donna une boisson, la vie reprenait de nouveau pour moi.

Après une courte période, un bon nombre d’entre nous, avons été transféré sur un chalutier le HMS Cambridgeshire, il nous transféra sur le cargo John Holt, navire qui récupéra des centaines de survivants et beaucoup de blessés. Malheureusement, nombreux sont ceux qui n’ont jamais revu l’Angleterre

Nous sommes arrivés à Plymouth la nuit suivante, toute la ville semblait être dehors pour nous rencontrer, ils ont fait un merveilleux travail de nettoyage et de soins.

Le jour suivant la compagnie Cunard relevait le nom des membres de l’équipage du Lancastria  qui avaient survécu au naufrage, ensuite nous étions transférés par train à Liverpool où nous étions questionnés et j’ai rédigé mon rapport. Une semaine plus tard je me dirigeais sur Montréal pour rejoindre ma maison, je signais un nouveau contrat sur le navire ‘Duchess of Atholl’ comme membre d’équipage, et ce fut un autre travail d’évacuation, transportant des enfants de Liverpool au Canada. Lors de mon deuxième voyage, un télégramme de la marine canadienne m’attendait pour porter l’uniforme, je me suis enrôlé le 19 août 1940.

Au cours des 5 années de guerre, j’ai eu un bon nombre d’expérience, mais rien à comparer la terrible tragédie du 17 juin 1940, cette journée était sans aucun doute la journée la plus longue de ma vie et 60 ans après je suis toujours témoin de cette catastrophe.

Les photos de cette tragédie avaient été prises par Monsieur Frank Clements qui se trouvait à bord du HMS Highlander, c’est cette personne qui m’avait enveloppé dans une couverture, c’est l’une des seules photos de ce naufrage.

Il y a eu la question du nombre de personnes qui ont péri dans cette tragédie, il y a eu de divers chiffres édités. Je crois que le nombre qui m’avait été donné  par le capitaine était fiable. Il y avait à bord du Lancastria  plus de 7000 personnes et 450 membres d’équipage. Quant au nombre exact de survivants, je ne saurais pas le nombre exact, je suppose que personne ne saura jamais.

 

Michael Sheelan