15 avril 2006, rencontre avec M et Mme Philbert, à l’Herbaudière, Noirmoutier.

 M et Mme Philbert, sont originaires de l’Ile de Noirmoutier, ils se souviennent de cette terrible journée du 17 juin 1940. Madame, cette jeune fille âgée de 12 ans, revoit ce magnifique et grand bateau au large de l’Ile. Elle raconte : « j’ai vu les avions bombarder le bateau et  j’aperçus les bombes tombées sur le navire, c’était affreux !! ».Quelques jours après ce désastre, profitant d’une belle journée Mme Philbert, accompagnée d’une amie, se promenaient le long du rivage. Regardant en direction de la mer, elles aperçurent un corps flottant  sur l’eau ; très émues et soucieuses, elles courraient alerter leur parent. « Mes parents arrivés sur le lieu de la macabre découverte, ne voulaient pas que l’on reste là, mais moi âgée mes douze ans, certaine de pouvoir regarder,  j’ai dit : « non » et nous y sommes restés. Le corps du naufragé était un grand monsieur, cheveux noirs, dont le corps habillé était couvert de mazout ».

 Les jours suivants, de nombreux corps arrivaient sur les côtes de Noirmoutier, c’était l’horreur dans toute sa profondeur. Beaucoup de corps se trouvaient soit sans tête, sans bras ou sans jambe. Madame, visage crispé me dit : : « je me souviens d’un jour, accompagnant mon beau frère à l’Epine, nous passions par la plage pour gagner un peu de temps. Dans l’anse de Luzéronde, il me dit : « tourne la tête car il y a un corps nu, sans tête et ni bras », je ne l’ai pas vu. Ensuite, je suppose que  ce soldat devait  être mis en fosse commune ».

 Monsieur Philbert, un homme paisible, me raconte  : « une après midi, aux alentours de 16h, quatre avions passèrent au-dessus du port de l’Herbaudière. Nous étions en réunion pour la pêche à la sardine. Nous avons bien  entendu les détonations, mais nous n’avons rien vu. Quelques jours plus tard, lorsque nous sommes partis à la pêche, nous ne pouvions pas réaliser  que nous allions naviguer  parmi des corps. De nombreuses lignes de marée étaient remplies de cadavres, éparpillés sur des distances entre 200 et 300 mètres de long voir plus par moment. Lorsque les allemands sont arrivés à Noirmoutier, nous avions ordre de ne plus sortir les corps de l’eau, c’était impensable pour nous, il y en avait tellement. Nous devions laisser les corps flotter sur l’eau, c’était horrible  ».

 Ensuite, lorsque des corps arrivaient sur les rivages, ce sont les allemands qui s’en occupaient ; ils les mettaient dans des sacs à pommes de terre, pour les enterrer dans des fosses communes. «Avec les collègues marins pêcheurs nous en parlions tous les jours », dit Monsieur Philbert . Les  naufragés du Lancastria, enterrés aux cimetières de l’Ile,  sont uniquement des corps qui sont arrivés sur les côtes.

 Madame : « Nous nous abstenions d’aller jouer sur les plages après cette découverte de corps ».

 Après la guerre, en 1962, des amis de Monsieur et Madame Philbert, sont allés en vacance en Angleterre faire du camping. Ils  séjournèrent chez un propriétaire qui par une nuit d’orage les invita dans sa demeure. Cet homme généreux leur demanda d’où ils venaient ; mes amis lui répondirent qu’ils arrivaient de Noirmoutier, une île située dans l’ouest de la France, dans le département de la Vendée. Surpris le propriétaire, répondit qu’il avait son plus grand ami enterré sur cette île, mais ne connaissait pas le nom du cimetière.

 Lors de leur retour, nos amis nous racontèrent leur étrange histoire. Intrigués, M et Mme Philbert  situèrent la tombe du soldat au cimetière de l’Herbaudière. C’est celle de Monsieur Ernest Edwin Payne, né le 26 décembre 1919, mort à l’âge de 20 ans en juin 1940. Il exerçait le métier de charpentier de marine. Il était  parti pour la guerre en 1939.  Le père de Ernest, lui aussi  parti à la guerre, est mort 15 jours avant ou après son fils ; le père et le fils n’ont jamais appris que l’un et l’autre sont morts. Mr Payne, père est enterré en Irlande, il avait 48 ans, noyé lui aussi.

 Le 26 mai 1940, Ernest écrivait à sa mère : « Chère maman, juste quelques lignes pour te dire que je suis ok, ici le temps est très chaud, chez vous aussi j’espère. Nous dormons dans une tente. Nous sommes au camp à dormir dans des tentes. Vous n’avez pas d’adresse pour m’écrire, mais ce n’est pas approprié  car il y aura un long temps avant que vous répondez. Nous sommes bien  et ne vous inquiétez pas. Je suis très désolé de ne pas écrire avant. Votre fils affectueux ».

 Les années suivent et Madame Philbert  continue à fleurir la tombe d’Ernest ; elle est toujours en contact avec sa famille. Encore aujourd’hui elle se pose la question : « serait il possible ou pas que le corps que j’ai vu sur la plage lors ma promenade avec ma copine soit celui d’Ernest. On appellerait ça la fatalité ».

Depuis 1988, George Payne, frère d’Ernest venait tous les 2 ou 3 ans sur la tombe, avec l’âge et les ennuis de santé, ne pouvant plus venir c’est son fils qui pris la relève .

 En 2004, le neveu d’Ernest est venu visiter la tombe de son oncle, ce fut un moment très émouvant pour toutes les personnes présentes. A certaines cérémonies du Lancastria, nous représentons la famille Payne. Nous ne pouvons donc pas oublier

 

Aujourd’hui, Madame : « je  pense toujours au Lancastria ».

                      Monsieur : « A tout moment j’y pense »