Témoignage de M. Fecci

En juin 1940 j’étais à Saint-Nazaire, j’ignorais que du jour au lendemain j’allais pour cinq longues années vivre des aventures inimaginables et dramatiques. Beaucoup de souvenirs me hantent et bien des images sont gravées à jamais dans ma mémoire, malheureusement elles me viennent en désordre.<BR<
En ce mois de juin 1940 à Saint-Nazaire je revois les quais du port entièrement encombrés de matériel de guerre, camions et voitures laissés à l’abandon dans un désordre indescriptible. Les troupes alliées affluaient de partout arrivant pour embarquer en toute hâte sur toutes sortes de navires. Je me souviens d’un destroyer britannique amarré le long d’un quai chargeant des troupes polonaises qui se trouvaient déjà à Saint-Nazaire, le navire ne pouvant embarquer plus de personnes il largua les amarres pour se rendre au large à la rencontre des navires au mouillages au large de Saint-Nazaire. Il commença à manœuvrer en battant en arrière lente lorsque un officier polonais qui sans hésiter, les bras en avant, plongea littéralement sur la plage avant du navire, s’écrasant sur le pont. L’équipage du destroyer se précipita très vite pour le récupérer.

Je pensais pouvoir profiter de l’occasion pour fuir en Angleterre, mais les ordres reçus étaient stricts : « aucun français à bord .... !!!! » ce jour là ma vie va basculer. J’errais toujours sur les plages aux alentours de Saint-Nazaire dans l’espoir d’embarquer sur un navire, à destination de l’Angleterre et durant de longues heures sur les quais du port. Il y avait un va et vient continu de toutes sortes d’embarcations conduisant les troupes britannique. vers les navires mouillés au large de Saint-Nazaire dont le Lancastria ? mouillé par 47°09’ Nord et 002°20 W. Surgissent alors les bombardiers de la luftwaffe, parmi lesquels je reconnais un messerchmitt 110, nous assistons alors ? avec effroi ? à un spectacle des plus dramatiques. Certain navires qui sont en route ? évoluent pour éviter les bombes qui les encadrent de plus en plus près, provoquant à l’impact d’énormes gerbes liquides.... Et nous restons là, sur cette plage, pétrifiés, impuissants, face à cette attaque brutale. Tout à coup nous réalisons qu’un transporteur de troupes vient d’être atteint. C’était le Lancastria ! le long du navire, on distinguait des grappes humaines, tentant de s’échapper soit dans les canots de sauvetage soit hélas en sautant à l’eau !!!!! quelques bateaux arrivèrent sur le lieu du drame pour tenter de sauver des naufragés . Je revois le Lancastria qui commence à sombrer par l’avant puis lentement il se couche sur bâbord . Sur la coque, il reste des centaines de soldats s’agrippant dans un effort désespéré. Je vois comme dans un cauchemar ce navire s’enfonçant de minutes en minutes dans les flots, engloutissant avec lui tant de malheureux soldats.
Complètement tétanisé, je restais là, face à cette horrible catastrophe, à tant de malheur ..... combien de temps je l’ignore encore...... Bien d’autres images me reviennent, celle du Jean Bart, quittant le port de Saint-Nazaire le 19 juin 1940, in extrémis pour fuir l’ennemi qui approchait rapidement. Je revois cette dernière image du dernier bac de Mindin, embarquant la dernière voiture civile, séparant ainsi ceux qui ont la chance de partir vers l’espoir et ceux qui restent bloqués ‘dans la masse du Lancastria’ et je garde encore l’image de cette jeune fille dans la voiture, battant des mains, si heureuse de pouvoir fuir. Quant à moi, quelques jours plus tard je me retrouvais entre deux feld-gendarmes allemands, embarqué pour de sombres jours d’internement en Allemagne.

M. Pierre Fecci