A. Picken. Sergent Major Corps de service Armée Royale

 

 

 

Notre destroyer s'approcha d'un paquebot possédant  qu'une seule cheminée, c'était un navire de la compagnie Cunard. Une fois débarqué de notre destroyer, ne gardant que nos fusils, nous n'étions maintenant plus protégés par notre destroyer. Notre nouveau navire, était le pimpant SS Lancastria. A bord, il y avait des civils anglais comprenant quelques femmes et enfants, groupés ensemble, soit 5300 personnes avec l'équipage. Allongé dans ma cabine, me reposant et lisant un livre, les hauts parleurs du navire lançaient l'avertissement "mettez vous à l'abri". Le bang sonore d'une explosion fut suivit soudainement par un second boum. Laissant tomber mon livre, je me frayais un passage à travers la cohue des soldats et des civils qui se précipitaient sur le pont. Du pont supérieur, j'ai vu les avions, plonger très bas vers nous. Une bombe est tombée dans l'eau, tout près de nous et explosa, éventrant le navire juste au dessous de la ligne de flottaison. Un autre avion plongea et largua une bombe sur le groupe d'homme que je venais de quitter. Ils étaient environ 500 hommes de la Royale Air Force. Il y a eu une explosion fracassante, un jaillissement de flammes et de fumée, les hommes périrent. Les ponts étaient si bondés que nous pouvions à peine bouger. Le Lancastria gîtait sérieusement maintenant sur tribord. Le navire sombra si vite que nous sentions le pont se dérober sous nos pieds, je ne savais pas nager. Le caporal Freddie Purchasse s'approcha de moi et me dit : "que vas-tu faire maintenant Rick ?" Je lui montrais une pile de chaises de pont encordées, nous mîmes tous nos efforts pour atteindre ces chaises et nous avons commencé à les détacher. Nous les jetions une à une dans l'eau, souhaitant flotter avec elles plus tard. Tout le monde se ruait vers les canots de sauvetage. Près de nous, l'eau était un amas tourbillonnant d'épaves et de gens, certains flottaient, d'autres semblaient morts.

 

Les avions lâchaient toujours leurs bombes autour de nous. Une fois déshabillé, mon ami Freddie, toujours à mes côtés me suggéra d'essayer de glisser le long des cordes qui pendaient du bossoir du canot de sauvetage. Je serrais la corde avec mes bras et mes jambes. Ce cordage glissa dans mes mains, ma jambe droite fut brûlée par la corde, depuis l'aine jusqu'à la cheville. Je me suis retrouvé dans un canot dont le fond brûlait, je me suis échappé aussi vite que j'ai pu. Je réussissais à attraper un havresac flottant qui avait roulé sur le pont. Nous étions toujours bombardés. J'ai passé ce gros havresac sous mon bras gauche et j'ai barboté dans l'eau espérant être un chef de nage. Je devais m'éloigner du Lancastria avant qu'il ne coule et que je sois emporté avec lui. Par-dessus mon épaule, je vis que le Lancastria était tellement recouvert d'hommes paniqués et rampant que le navire était invisible. L'hélice du navire, immobile et grotesque, surplombait l'eau et puis doucement, les pales commençaient à plonger. Une cinquantaine d'hommes environ, accrochés à l'hélice chantaient "il y aura toujours une Angleterre".

 

Mon havresac se dérocha de moi. Affolé, je regardais rapidement, s'il y avait d'autre chose à saisir. Dans un geste désespéré, je me suis à nouveau accroché au havresac. Je coulais, l'eau était chaude, épaisse comme une soupe. Je réalisais que mon havresac ne flottait plus. Je devais le quitter, mon corps s'éleva vers la surface. Maintenant le Lancastria avait coulé. Soudain mon bras heurtait un objet flottant. C'était un aviron, perdu par un des canots de sauvetage. Assez grand pour me supporter sans difficultés. Par peur, je me mis à prier de toutes mes forces. La mer devenait de plus en plus noire, les hommes sur l'eau en étaient noircis. J'entendais de halètements de ceux qui étaient dans la zone où le navire avait sombré. Je savais que ce mazout, épais et noir m'atteindrait. Plusieurs milliers d'hommes flottaient autour de moi. Je me sentais faible et abandonné. Je vis non loin, un homme, "camarade, je ne peux plus nager" me disait-il. Je lui criais de saisir l'autre extrémité de l'aviron. L'épaisse couche de mazout parraîssait aussi lourde que du goudron et aussi épaisse et glissante que de la mélasse.

 

Plusieurs avions allemands plongeaient sur nous, ils essayaient de mettre le feu au mazout sur l'eau, c'était répugnant. Ils revenaient ensuite pour nous mitrailler. Je me mis à prier encore plus fort. Soudainement, alors que deux jets de grande hauteur sifflaient près de nous, mon compagnon s'écria "oh, mon Christ !!" Une balle la frappa au front, ses mains glissèrent et il coula. J'étais entre deux impacts de mitrailleuse. Probablement, n'ayant plus de munitions les avions partirent. Pendant que je pataugeais, j'entendis deux hommes qui nageaient en traînant un troisième qui était inconscient. L'un d'eux m'appela :"tout va bien camarade?". Je lui répondis : " ça va " " si tu es ok, tu peux t'agripper à ces jambes, ça nous sera égal". Je refusais.

 

A ce moment là, il y avait près de 3000 hommes qui flottaient autour de moi. Un radeau de sauvetage vint à côté de moi, couvert de soldats et d'aviateurs, ils chantaient "Roll out the Barrel". Ce radeau dériva au loin me laissant seul. Je commençais à penser à ma femme et à ma fille. Droit devant, j'apercevais un chalutier. Je me mis à barboter dans sa direction. J'entendais les cris des autres survivants. Petit à petit, je m'approchais du chalutier. Des survivants étaient déjà à bord, j'espérais que ce petit bateau m'attende. Ma tête et mon visage étaient couverts de ce sale mazout. Une heure après, je me trouvais sous son bord. Le bateau était rempli de rescapés. Deux d'entre eux, noirs de mazout, se sont penchés par-dessus bord "ici mon gars, cria l'un 'eux, attrape, tiens bon !!". Ils me lancent le bout d'une aussière. Ne réussissant pas à me hisser à bord du au mazout, les gars me criaient des encouragements : "on va te passer une boucle". La corde lancée, je m'introduisais dans la boucle. Les deux hommes me hissèrent  aussi rapidement qu'ils le pouvaient. Je m'écroulais sur le pont comme une méduse. Le patron du chalutier désirait nous ramener au port, nous étions au moins 500 personnes à bord. L'on s'approcha de l'Oronsay qui installait une échelle de corde, et nous embarquions. Lors de notre voyage, nous avions stoppé dans la nuit pour immerger ceux qui moururent après le sauvetage.

 

Le lendemain, à 18h, nos débarquions à plymouth. Par nos propres moyens, nous étions allés à l'hôtel en attente d'uniformes. Nous devions, par la suite aller à Londres. L'on nous a dit que le naufrage du Lancastria devait être gardé secret. Six semaines plus tard, le New York Sun, rapporta que le SS Lancastria avait sombré avec 6000 hommes à bord et que 600 s'étaient noyés. L'amirauté, ensuite autorisait de relater la vérité. Trop de publicité sur notre histoire aurait abattu sérieusement le moral des anglais. Ensuite, les survivants du Lancastria repartaient à la guerre.