E.M.C. SHIFP Chef d'escadron

 

Après 48 heures à Nantes, nous étions tous très heureux d'apprendre que nous rallions le port de Saint-Nazaire vers 16h le 16 juin 1940. La veille nous avions saboté tous nos véhicules. A notre arrivée nous sommes allés nous parquer pour la nuit sous les tabliers des hangars. Bien que très fatigué, j'étais très énervé du sans doute aux marches conditionnelles, le bruit des avions et les canonnades. Dans le milieu de la nuit, je suis allé chercher une boisson chaude. De retour, j'appris que notre embarquement aurait lieu dans la matinée du 17 juin 1940. Nous embarquions vers 7h vers le large où de nombreux et grands navires transporteurs étaient au mouillage. Il était environ 8h, lorsque notre remorqueur manoeuvra à tribord du grand et majestueux Lancastria. Très vite nous montions la coupée et embarquions. Un ami, Bob Doig et moi étions dirigés vers la salle à manger.

En nous y rendant, nous prenions un gilet de sauvetage "seulement au cas où" hasardais-je après coup. Ensuite nous sommes partis dans notre cabine située au premier pont sous le pont principal, au centre du navire, sous la passerelle du commandant. C'était une cabine à quatre couchettes, mais nous étions que Doig et moi. Le reste de la matinée, nous décidions de visiter le bateau et voir ce qu'il y avait d'intéressant à voir à partir du pont. Nous nous sommes vite rendu compte que le navire était littéralement bondé bien au-delà de sa capacité normale. Tout mouvement sur le pont était limité. Nous apprîmes aussi que les soldats étaient installés dans les cales et j'en fus choqué. J'ai eu l'impression que nous devions être 4000 à bord. Aux environs de midi, le temps était merveilleux.

Il était 13h quand je fis remarquer à Doig que l'heure était de se rendre à la salle à manger afin de nous restaurer. Dans un moment de calme, au milieu des conversations, nous entendions le ronronnement des avions qui volaient à quelque distance de nous. Il fut suivi d'un bruit perçant puis de plusieurs fortes explosions. Nous décidions d'aller voir sur le pont ce qui se passait. Il y avait une épaisse fumée qui se dégageait du navire Oronsay, il venait d'être  touché à la passerelle de commandement par des bombes d'un bombardier boche. 14h30, Doig et moi, décidions que nous ferions aussi bien de retourner à notre cabine et de faire un petit somme. Il était maintenant 15h30, quand j'ai entendu le retour des avions. Sans aucun doute. C'était les boches cherchant d'autres cibles. Alors, je criais à Doig " ces satanés Huns traînent encore, nous ferions mieux de bouger.

Avant de prononcer ce dernier mot nous avons entendu quelque chose qui tombait en sifflant et qui éclata avec fracas sur notre navire provoquant une explosion qui le fit vibrer. Nous rassemblions nos peu d'affaires, et nous enfilions nos tuniques. Un autre "sifflement" s'écrasa sur le navire laissant son empreinte. Il était 15h35. L'explosion fut terrible, le navire se cabra à nouveau de la proue à la poupe. Après ces deux attaques, on sentait déjà que le navire prenait de la gîte sur bâbord. Nous sortions de notre cabine et tout de suite nous étions entourés d'une épaisse fumée âcre qui se répandait dans la coursive. Nous nous précipitions où nous avons vu une porte qui venait juste de s'ouvrir, ceci dit, elle nous conduisait vers l'avant du navire. Pendant ce temps la gîte sur bâbord s'accentuait et nous nous sommes retrouvés face à face avec des soldats souffrant de terribles blessures. Les cris de souffrance de ceux qui avaient été grièvement blessés et les appels au secours, étaient le pire problème à résoudre. Il y avait deux qui étaient sévèrement blessés et ceux dont nous ne pouvions nous occuper, paniqués, devenus fous et qui sautaient par-dessus bord, côté tribord du navire, pour tomber peut-être 80 ou 100 pieds (entre 25 et 33 mètres) dans la mer, soit pour mourir peut-être, ou se noyer par suite de commotion. Nous ne savions que faire.

De toute évidence, l'avion ennemi avait l'intention de mettre à mort le Lancastria et tous ces occupants. Il revint sans aucun doute, pour se réjouir de sa tuerie. J'ai alors saisi un fusil mitrailleur et lui ai donné une rafale avant qu'il ne disparaisse. Puis Doig et moi firent, ce que nous pouvions pour ceux qui étaient autour de nous. La gîte s'accentuait à une vitesse alarmante. Je dis à Doig :" boira la tasse, il faudra se tirer de là et espérer le meilleur". A ce moment là j'entendis un petit gars de l'armée, il cria : "je ne sais pas nager". Moi, j'avais la chance de le savoir, alors j'ai ôté mon gilet de sauvetage et lui remis. J'ai crié à Doig de plonger. J'ai poussé le gars sans ménagement et je l'ai suivit dans l'eau.

Nous recommencions à nager, je conservais à la remorque notre jeune ami militaire, il semblait moins apeuré et coopératif. Je criais à Doig que nous devions nous éloigner le plus loin possible de ce pauvre navire avant qu'il ne fasse son ultime plongeon. Au loin, nous pouvions entendre des soldats restés encore sur le navire chanter "Roll out the barrel" malgré leur destin de toute apparence inévitable et imminent. "Quels héros, dis je en moi-même, que leur passage soit rapide". Je n'oublierais jamais les nombreuses tentatives pour amener les canots de sauvetage pleins de soldats et de civils, beaucoup d'entre eux parurent être rejetés à l'eau car les canots n'avaient pas été abaissés régulièrement.

En dehors de ça, on pouvait voir des centaines de corps dans la mer, certains nageaient, mais à mon grand regret beaucoup semblaient sans vie. Malgré cela, le boche rodait toujours autour de nous, lançant des tirs de mitrailleurs sur ceux qui étaient dans l'eau et ceux qui étaient encore à bord. Peu de temps après nous virent la fin du Lancastria. Doig et moi décidions de voler de nos propres ailes, nous souhaitant le meilleur. Un navire au loin s'approcha, je me mis à nager dans sa direction, quand surprise il se mit à virer de bord. Je pensais au pire. En fait, le bateau avait stoppé et mouilla son ancre. Ce ne fut pas long pour que des mains amicales me hissent à bord, y compris celles des rescapés. Ils me donnèrent une boisson chaude, j'étais "bleu de froid". Ensuite ils me mirent dans la timonerie du remorqueur. J'appris que le patron du remorqueur était Français, un type résolu mais charmant.

Quand j'ai demandé l'heure à quelqu'un, il était 18h05. Juste après 19h, nous étions le long de l'Oronsay, nous embarquions les blessés en premier, dont un jeune soldat dont sa tête était raide comme prise dans un étau. J'appris que lors d'une explosion, un mince morceau de bois avait traversé son cou sur six ou sept pouces derrière l'oreille. A bord, l'on nous donna une boisson chaude et quelque chose à manger ainsi que des vêtements. A 6h, le matin suivant, le 18 juin, très peu de monde était réveillé. Je parlais avec des survivants de ce qui nous était arrivé les jours précédents. Au moment du breakfast, j'appris que le garçon qui avait ce bout de bois dans le cou était mort et qu'il avait été immergé. C'était une triste fin pour ce héros magnifique de courage. A 21h30, nous étions à Plymouth.

Nous avons reçu un repas par le service volontaire de l'armée. Le 19 juin 1940, j'ai rejoint Doig et tous mes frères d'armes qui avaient eu de la chance.