M. Lugez

Le 17 juin 1940, 14 ans était mon âge, originaire de Lilles nous évacuions cette ville le 6 juin 1939 pour rejoindre notre tante à Pornichet en Loire-Atlantique. A 11 h du matin ce 17 juin 1940 j’aperçu des stukas sifflant, j’en comptais environ 3, ils sont venus survoler la rade de Saint-Nazaire en reconnaissance.

 Cette journée là était ensoleillée et agréable, dans l’après midi ces avions revenaient aux environs de 16 heures pour bombarder le paquebot Lancastria qui se trouvait au large de Saint-Nazaire, suite aux bruits et aux nouvelles tout le monde se précipitait le long du rivage pour contempler les bombardements ‘ils bombardent les bateaux sur rade’ racontaient les gens. Je me souviens d’avoir vu couler le bateau en très peu de temps, c’est allé très vite.

 Suite au naufrage, le lendemain à Pornichet nous parlions de cette tragédie mais nous n’en savions rien car le silence régnait et surtout ‘les allemands arrivaient ‘.Le 15 juin 1940 je me souviens d’avoir aperçu 5 soldats polonais, ils étaient complètement égarés, ils en pleuraient, ils étaient usés, fatigués, ils n’avaient rien mangés. Après les avoir nourri je leur ai suggéré de retourner sur Saint-Nazaire ainsi je les guidais jusqu’au port en sachant qu’un bateau polonais venait les chercher, une fois arrivés au port ils embarquaient à partir de 13h20 jusqu’à 15h35 sur le SOBIESKI accosté au quai de Saint-Nazaire. Les polonais redoutaient les allemands car ils ne faisaient guère de prisonniers originaires de ce pays.

 En 1940 j’adhérais à l’association de la Croix Rouge, au mois de juillet 1940, un mois après le naufrage du Lancastria des centaines de corps arrivaient sur la côte, des corps mutilés, des corps dans des états pitoyables (1).  Nous les plus jeunes n’étions pas autorisés à toucher les corps, notre mission consistait à parcourir après chaque marée les plages pour relever l’emplacement des corps, ce qui nous a beaucoup choqués. Souvent pour nous encourager on nous disait ‘faut y aller les gars’ mais nous étions très marqués par ce que l’on a vu sur les plages .Les allemands ne s’en occupaient absolument pas.

 La mairie de Pornichet organisait le ramassage des corps, si possible ils procédaient à une identification et ces cadavres étaient mis dans des couvertures, le personnel du cimetière anglais du Cuy à la Baule les Pins creusait une tranchée et disposait les corps les uns à côté des autres. Cela a duré 15 jours minimum, mais nous sommes restés marqués à jamais par tout ce que l’on a pu voir. Ce qui nous sauvait dans cette période difficile c’était notre moral ‘donc fallait y aller’.

 Les allemands nous cherchaient partout pour travailler, mon frère et moi sommes pris pour le travail obligatoire dans le camp Mazy (camp de la marine allemande), le quotidien dans ce camp était des coups de pieds à longueur de journée et rien à manger mais pour eux c’était la seule manière de nous empêcher de partir donc travail obligatoire, mon frère roulait des brouettes remplies de sable sur du sable mou imaginez les efforts pour réaliser ce travail et rien dans le ventre pendant 8 heures, ‘nous avions la frousse des allemands’ .

 Nous avons quittés la poche en février 1945 pour Nantes, par la suite nous sommes restés à Lilles mais plus rien ne restait de chez nous, nous sommes donc revenus en août 1945, y avait tout à reconstruire, jamais nous ne parlions  de la tragédie du Lancastria.     Je peux dire que je n’ai pas eu une enfance terrible !!!!!

 

(1) sur la demande de M Lugez je n’ai pas insisté sur l’état des corps qu’il récupérait sur les plages